Le temps est assassin
Auteur : Michel Bussi
Éditeur : Pocket (02/11/2017)
Résumé :
Eté 1989 La Corse, presqu'île de la Revellata, entre mer et montagne. Une route en corniche, un ravin de vingt mètres, une voiture qui roule trop vite... et bascule dans le vide. Une seule survivante : Clotilde, quinze ans. Ses parents et son frère sont morts sous ses yeux. Eté 2016 Clotilde revient pour la première fois sur les lieux de l'accident, avec son mari et sa fille ado, en vacances, pour exorciser le passé. A l'endroit même où elle a passé son dernier été avec ses parents, elle reçoit une lettre. Une lettre signée de sa mère. Vivante ?
- Faut vivre mademoiselle, avait dit un jeun flic en posant une couverture de survie argentée sur son dos. Faut vivre pour eux. Pour ne pas les oublier. Elle l'avait regardé comme un con, comme un curé qui parle de paradis. Il avait raison pourtant. Même les pires souvenirs finissent pas s'oublier, si on en empile d'autres par-dessus, beaucoup d'autres. Même ceux qui vous ont cisaillés le cœur, ceux qui vous ont rayé le cerveau, même les plus intimes. Surtout les plus intimes. Parce que de ceux-là, les autres s'en foutent.
Avis :
J'ai déjà lu deux livres de Michel Bussi et rencontré l'auteur, qui est vraiment très abordable et agréable. Il doit encore me rester un de ces ouvrages dans ma bibliothèque et, si j'ai sorti celui-ci, c'est un pur hasard. Avec Nadge et Auré, nous avons décidé de faire une lecture commune et il se trouve que Le temps est assassin est le seul livre que nous ayons eu en commun.
Comme quoi, parfois le hasard fait bien les choses puisque cette expérience de lecture à trois a été super sympa (à réitérer d'ailleurs) et le livre un coup de cœur. Lisant chacune à un rythme différent, nous avons tout de même réussi à nous coordonner, nous attendant dans la lecture à tour de rôle et faisant parfois durer le suspense lorsque notre lecture se terminait sur un passage particulièrement stressant ou choquant. Combien de fois ai-je pensé Oh mon dieu ! au cours de ma lecture (et combien de fois l'ai-je dit aux filles d'ailleurs). Michel Bussi nous immerge à la fois dans une Corse sauvage et splendide, au sein d'une grande famille où l'omerta est de mise, et dans un chassé croisé d'actions qui, mises bout à bout ont entrainé une tragédie qui se poursuit encore 27 ans plus tard.
Après nous avoir décrit l'accident de voiture qui a coûté la vie à la famille de Clotilde, l'auteur la fait revenir sur les lieux du drame, avec sa propre famille : son mari et sa fille, âgée de 15 ans, exactement comme elle lorsque sa vie a basculé. Clotilde a mis du temps à faire son deuil et a besoin de partager son histoire, de faire connaitre ses parents décédés aux siens. Pourtant, tout ne se passe pas comme elle l'aurait rêvé et les réactions ne sont pas celles attendues. Pire, le passé n'a jamais semblé aussi proche.
Les chapitres alternent entre passé et présent: la Clotilde adolescente, à travers son journal, qu'un mystérieux lecteur nous permet de découvrir et la Clotilde quarantenaire, qui cherche à comprendre les signes qui lui sont laissés. Parfois, nous suivons également d'autres personnages, pas toujours identifiés, ce qui ne fait qu'ajouter à nos questionnements. En effet, par le biais des points de vue tronqués, l'auteur arrive à nous surprendre, nous poussant à imaginer autre chose que ce qu'il s'est réellement passé.
Les passages du journal de Clotilde ont un ton un peu décalé, assez particulier au début, mais on s'y habitue très rapidement. Chaque chapitre journal se clôt par un commentaire de son lecteur, à la troisième personne du singulier, appuyant les paroles de la jeune-fille avec la connaissance qu'il a de l'accident à venir. Ce IL est la chose la plus frustrante du roman ! D'autant plus qu'il fait parfois des allusions qui ne sont pas en phase avec les éléments que nous avons à notre disposition et que nous brûlons de savoir ce qu'il en est réellement.
Le roman de Michel Bussi est particulièrement bien pensé et écrit; chaque situation passée trouve une explication lorsque la vérité commence à éclater. Que ce soit à travers le journal de Clo ou ses souvenirs qui commencent à resurgir. La communauté autour des Idrissi veille à ne pas parler, à conserver le secret et nous nous en rendrons compte, c'est en partie cette atmosphère hostile aux étrangers qui est à l'origine de la scène qui s'est jouée quelques décennies plus tôt.
La plume est vivante, va à l'essentiel tout en décrivant paysage et sentiments avec justesse. Les quelques 600 pages du roman se tournent rapidement jusqu'à l'apothéose.
Michel Bussi pose un regard, une analyse, quoi que parfois cynique, très vrai sur l'amour ou tout du moins la relation de couple. J'ai beaucoup aimé suivre en parallèle la vision dichotomique de l'ado naïve de 15 ans, qui croit encore au grand amour et les réalités de la vie de couple entre adultes, devenus parents, aux idéaux oubliés, pris dans les tourments de la vie. Le fait que Clotilde, qui voulait tellement ne pas devenir comme sa mère, se retrouve confrontée à la même usure, aux mêmes problèmes de communication avec sa propre fille.
On sent également une pointe de nostalgie, les gens qui changent, le temps qui passe, assassin. Le premier amour qui reste, qui remet les choses en question. Et les révélations, qui tombent les unes après les autres, et qui nous surprennent (au moins une fois, ce n'est pas possible autrement).
Enfin, j'ai bien aimé la fin. 27 ans plus tard. Encore. Une fin qui n'est pas forcément celle que j'aurai souhaité, mais une fin qui colle et semble tellement évidente.
Bref. Je suis absolument fan de cette histoire de fou, dans laquelle histoires adolescentes et monde adulte se heurtent, pour aboutir à la plus tragique des conclusions.
C'est donc qu'une histoire d'amour ne vaut pas plus qu'une autre, que mille autres vies auraient été possibles, peut-être meilleures, peut-être pires. Au fond, pensait Franck en fixant par la fenêtre le carré de ciel sans étoiles, les seules vraies histoires d'amour sont celles où l'un des deux triche au départ, trafique le hasard, se déguise, enfile le bon costume, porte le bon masque, attend des années avant de le faire tomber. Le temps que l'autre soit habitué, conditionné, piégé.
Une vie, pensa-t-elle, se résumait à cela : profiter de la beauté du monde. Son harmonie. Sa poésie. Le contempler avant que tout ne disparaisse. Au fond, on ne meurt pas, on devient aveugle. On comprend que c'est terminé lorsque toutes les merveilles autour de nous s'éteignent.
Comments