Bienvenue au motel des pins perdus
Auteur : Katarina Bivald (traduit par Lucas Messmer)
Éditeur : Denoël (07/02/2019)
Résumé :
On meurt tous un jour… pas forcément dès le premier chapitre ! C'est pourtant ce qui arrive à Henny. Mais elle se refuse à quitter notre monde sans avoir accompli une dernière tâche : retrouver, réconcilier et rendre heureux ses anciens amis.
Drôle, farfelue et émouvante, Henny est l'amie qu'on rêve d'avoir à ses côtés… vivante de préférence !
La même chose qui arrive à tous les rêves, assène MacKenzie. On en a réalisé quelques-uns, et on a oublié le reste. Tu imagines comme les humains seraient malheureux si on n'était pas aussi forts pour refouler les choses ?
Avis :
Je remercie les éditions Denoël, qui m’ont fait la surprise de m’envoyer le nouveau roman de Katarina Bivald. Je connaissais déjà l’auteure de nom, notamment grâce à la bibliothèque des cœurs cabossés, dont j’ai entendu beaucoup de bien, mais je n’avais jamais eu l’occasion de la lire.
Si vous avez parcouru le résumé de Bienvenue au motel des pins perdus (Bienvenue pour faire plus court), vous vous êtes rendus compte du sujet particulier : le personnage principal meurt dès le premier chapitre mais reste parmi les vivants. Je ne vous cache pas que j’étais assez réticente à découvrir ce roman, craignant de ne pas l’apprécier à cause de cette histoire de fantôme.
Et bien j’ai été surprise et j’ai apprécié chaque page et chaque message de ce petit pavé.
Bienvenue m'a parlé, m'a chamboulée parce que certaines pensées d'Henny font écho en moi. C'est un roman qui m'a beaucoup fait cogité, sur le sens de la vie notamment, et pas sûr que ce soit une bonne chose car je cogite déjà beaucoup trop ! Le fait qu’Henny ait 34 ans à sa mort ajoute au tragique de la situation, et son âge proche du mien, m’a encore plus marquée.
C’est un sentiment ambivalent qui m’a accompagné durant ma lecture : d'un côté c'est vraiment cool d'être un fantôme, de pourvoir observer les gens sans être vu mais d'un autre c'est tellement triste de penser à tout ce qu'Henny ne pourra plus faire, ces moments dont elle ne sera plus que spectatrice, aux sentiments de perte et de vide que l'on ressent en suivant ses amis. Chaque ligne de bienvenue nous rappelle à quel point la vie est courte et à quel point on passe souvent à côté de l'essentiel entraîné par le rythme de la vie quotidienne, à la poursuite d'une chimère. Lorsque l'on fait les comptes et que l'on regarde en arrière comment ne pas regretter certains choix, certains moments heureux alors qu'on ne l'est plus aujourd'hui. C'est un sentiment de nostalgie qui nous envahi tout au long du récit : la nostalgie de l'innocence perdue, des moments où l'on était ensemble et où tout allait bien… Qu'est ce qui a fait que les choses ont changé ? Car tout change forcément un jour et c'est quelque chose qui fait peur mais contre lequel on ne peut rien. Malgré tout il faut avancer et chaque épreuve que l’on traverse nous construit ; Henny incarne la bonne amie par excellence, celle qui est toujours là, même au-delà de la mort, pour veiller sur les siens et vouloir leur bonheur. Mais qu’il est frustrant de la voir parler dans le vide et agir dans le vent, car personne ne l’entend et tout ce qu’elle fait pour améliorer la situation de ses amis reste vain : elle n’est plus là !
Bienvenue c’est aussi la prise de conscience d’Henny que le monde continue de tourner sans elle, nous naviguons au gré de ses souvenirs et des moments importants/décisifs de sa vie, elle va vers l’acceptation de sa vie et de sa mort. Si j'ai bien aimé cette lecture, c'est que je trouve qu’elle reflète une vision des choses plutôt juste et que tout est bien décrit. J'ai eu plus d'une fois les larmes aux yeux devant certains réactions. Les sentiments sont à fleur de page si l'on peut dire, c'est plein de nostalgie et en même temps ça montre qu'il faut profiter de la vie, qu'on est constamment en train de courir après quelque chose sans profiter de ce qu'on a et qu’il ne sert à rien de vivre dans le passé.
Pine Creek est une petite ville bien à part qui semble un peu hors du temps. Elle est peuplée d'habitants originaux que nous apprenons à découvrir à travers le regard et les souvenirs d’Henny. Les personnages sont en fait très nombreux et plus ou moins détaillés en fonction de leur importance dans le récit.
La fin du roman est engagée vis-à-vis de la communauté LGBT ; si tout au long de Bienvenue nous entendons parler de l’Initiative 9, nous ne découvrons que progressivement l’incidence qu’elle a eu sur la vie d’Henny et ses amis et l’impact qu’elle a encore. J’ai été révoltée par les propos tenus notamment par le pasteur, appel à la haine et jugement de valeur ; par la passivité des habitants de Pine Creek ; par cette injustice et la loi du plus fort, du plus « moral ». Sentiment exacerbé par le fait que les personnes visées sont celles auxquelles nous nous sommes attachés au cours de notre lecture, que nous reconnaissons pour leurs qualités, leur combativité, leur gentillesse et non leur sexualité.
Bienvenue au motel des pins perdus c’est une histoire tragique et pourtant toute douce, sur l’amitié, l’amour, la vie et l’espoir. Un motel aux allures de refuge qui est ouvert à tous et permet à certain, par le biais de rencontres de revoir leur façon d’agir ou de penser, de se dépasser, de s’améliorer. J’ai particulièrement apprécié la relation M. Broek / Stacey, deux personnalités blessées et totalement opposées que j’ai trouvé très touchantes ensemble. Quels que soient les écueils rencontrés, l’être humain a cette capacité à rebondir et continuer d’avancer. Une belle leçon de courage et de partage.
J'ai tourné le dos à tout ce qui touchait de près ou de loin à mon adolescence. Je pensais que je ne pouvais qu'aller de l'avant, mais c'est impossible, pas vrai ? Tôt ou tard, le passé nous rattrape.
"Je ne crois pas que la vie penne nos projets en compte"
Mais s'il y a une chose que la vie et la mort m'ont enseignée, c'est que le début et la fin sont des concepts relatifs. Quand on vit les choses, on ne sait jamais réellement où on se trouve.
Renoncer à une personne que l'on ne peut pas avoir devrait être la chose la plus facile au monde. J'imagine que c'est un peu comme mourir. Quand on a souffert pendant si longtemps, on comprend que ça ne vaut plus la peine de s'accrocher et on… laisse tomber. On ferme les yeux, on cesse de respirer, on tourne la page et on est libre.
Tout ceci, nos vies, nos campagnes politiques, tout Pine Creek et tous les idiots qui vivent ici, tout ça n'est qu'une fraction de seconde dans l'histoire globale de la Terre. Rien n'a de sens ni d'importance.
Je crois que nos vies sont parsemés d'instants décisifs. De courts moments où nous connaissons des changements radicaux et irrévocables. […] Ils sont parfois si brefs que nous ne sommes même pas conscients d'avoir changé de cap. Même si l'angle se limite à quelques degrés, il demeure suffisant pour altérer notre trajectoire à jamais, et plus les années passent, plus l'écart se creuse. Pour le meilleur ou pour le pire ? Je l'ignore, mais j'aime à croire que nous prenons nos décisions pour une bonne raison. Nous ne faisons pas fausse route; nous changeons de destination.