A l'ombre de Winnicott
Auteur : Christian Niemiec & Ludovic Manchette
Editeur : LE CHERCHE MIDI (29/08/2024)
504 pages
Résumé :
Sussex, Angleterre, 1934. Alors qu'ils viennent d'emménager dans le manoir de Winnicott Hall, Archibald et Lucille Montgomery confient à Viviane Lombard, une Française à l'attitude et au franc-parler peu ordinaires, l'éducation de George, leur jeune fils aveugle. Tandis que la préceptrice et l'enfant apprennent à s'apprivoiser, un doute s'instille peu à peu chez eux comme chez tous les habitants de la vaste demeure, maîtres des lieux et personnel confondus : une présence invisible ne rôderait-elle pas entre les murs de la vieille bâtisse ?
Avis :
J'ai rencontré Niemiec et Manchette il y a 2 ans, lors du salon Lire à Limoges et, depuis, America[s] attend sagement dans ma bibliothèque. Lorsque j'ai découvert A l'ombre de Winnicott dans mon magasin Cultura, il faisait partie de ces livres sans résumé (dans le cadre du Comité de Lecture, nous sommes amenés à lire des épreuves non corrigées - ENC - des livres de la rentrée littéraire, certains n'ont pas encore de couverture, d'autres de résumé); pourtant, le nom des auteurs a attiré mon attention et c'est ainsi que je me suis retrouvée à lire mon tout premier Niemiec et Manchette : leur troisième roman.
Ce fut une excellente découverte; j'ai beaucoup aimé l'écriture, les personnages et l'esprit de ce roman. J'avoue avoir eu quelques craintes, sentant s'affirmer le côté paranormal, de la tournure que prendrait l'intrigue, mais cela n'entache en rien, je trouve, le récit. Il n'en a pas l'air à première vue, mais A l'ombre de Winnicott est un beau bébé de 500 pages; pour ma part, je n'aurais pas été chagrinée de passer quelques années de plus aux côtés des habitants du manoir. La manière dont est raconté l'histoire est assez originale : un narrateur, dont nous ignorons l'identité avant la toute dernière page, s'adresse à nous de manière directe pour nous conter les évènements qui se déroulent au domaine. Par deux fois, au moins, il nous induit en erreur en ne mentionnant pas le nom des personnages acteurs d'une scène et laisse notre cerveau comprendre, à tort, quel est le personnage qui s'exprime. J'ai trouvé ces impostures fort à propos, dénonçant les idées reçues qui s'imposent à nous. Autre originalité (je ne sais pas si elle est spécifique aux ENC ou si elle sera également présente dans le roman définitif) :
Le
début
et la fin
du romans ont
présentés sous forme
de pyramide / pyramide inversée
un peu comme celle
que je vous
présente
ici.
Pour en revenir au récit, j'ai beaucoup aimé les personnages. Viviane Lombart, la perceptrice française, peu présentable, engagée pour instruire le jeune George. Cette originale ne plait ni à Lucille Montgomery, la maitresse de maison, ni à Mr Talbott, le majordome. Pourtant, elle saura gagner le cœur de son élève comme celui, je crois, du lecteur. Le jeune George est un personnage très attachant : aveugle de naissance, il soufre de la solitude et de la surprotection dont l'entoure sa mère. Son père, quant à lui, est trop gêné pour lui exprimer son affection et souvent absent à cause de son métier d'archéologue qui l'oblige à entreprendre des expéditions à l'étranger. N'oublions pas Mrs Dotts, la cuisinière, Ruby et Pearl, les sœurs en charge du ménage et Alistair, le parrain de George.
J'ai énormément apprécié le jeune George et sa manière plutôt positive de voir la vie malgré son handicap. Le lien qu'il tisse, petit à petit avec sa perceptrice, qui s'ouvre en retour, est vraiment touchant. J'ai aimé leurs échanges, parfois philosophiques, toujours très intéressants.
Il est agréable de voir évoluer tout ce petit monde, de constater les progrès, les tensions, les changements d'attitude. Si tous les habitants du manoir ont, au départ, un esprit très cartésien, ils sont confrontés à certains phénomènes que rien ne peut expliquer. Cela engendre une atmosphère angoissante. Ces phénomènes s'accentuent au fur et à mesure si bien que ce que nous aurions pu prendre pour de simples méprises, au départ, devient rapidement beaucoup plus inquiétant.
Les auteurs ancrent leur récit dans la réalité en y intégrant des éléments d'actualité : la montée en puissante d'Hitler notamment. La cécité de George est également un élément central du tableau; cela joue sur la manière dont il est considéré : comme un être fragile par ses parents, et particulièrement sa mère, comme une personne à part entière par Viviane qui va lui parler sans détours et lui permettre de vivre de sacrés aventures. La pudeur de l'époque transparait à chaque page, particulièrement avec Archibald qui ne sait pas comment parler à son fils.
La lecture est extrêmement fluide, entrainante même. On sent l'histoire derrière le manoir et le poids des secrets qu'il porte. Ce sont des tranches de vie, pas toujours gaies, tragiques parfois, des personnages qui se construisent, qui comptent les uns sur les autres, chacun dans leur solitude. Les auteurs nous offrent une belle conclusion et ont peut-être réussi, qui sait, à changer notre vision du monde.
A l'ombre de Winnicott fut une très très belle découverte.
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