Le vallon des lucioles
Auteur : Isla Morley
Éditeur : SEUIL (04/03/2021)
474 pages
Résumé :
1937, Kentucky. Clay Havens et Ulys Massey, deux jeunes photographe et journaliste, sont envoyés dans le cadre du New Deal réaliser un reportage sur un coin reculé des Appalaches. Dès leur arrivée, les habitants du village les mettent en garde sur une étrange famille qui vit au cœur de la forêt. Il n’en faut pas plus pour qu’ils partent à leur rencontre, dans l'espoir de trouver un sujet passionnant. Ce qu’ils découvrent va transformer à jamais la vie de Clay et stupéfier le pays entier. À travers l'objectif de son appareil, se dévoile une jeune femme splendide, Jubilee Buford, dont la peau teintée d’un bleu prononcé le fascine et le bouleverse. Leur histoire sera émaillée de passion, de violence, de discorde dans une société américaine en proie au racisme et aux préjugés.
Il n'y a que trois choses sur lesquelles nous autres, pauvres âmes, n'avons aucun contrôle : notre naissance, notre mort, et la personne que nous aimons, et quiconque vous dire que l'amour est une chose simple n'est certainement jamais tombé amoureux.
Avis :
C'est un peu par hasard que je découvre ce livre, puisqu'il m'a été proposé lors d'une opération masse critique, et que le résumé m'a fortement intéressée.
L'intrigue se déroule principalement en 1937, alors que le Clayton Havens (désigné par Havens la plupart du temps) de 1972, se remémore son arrivée à Chance, cette bourgade située dans les Appalaches, et les évènements qui en ont découlé. Si j'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire, et à m'habituer à la narration déstabilisante (une alternance de chapitres Jubilee / Havens, à la troisième personne du singulier et au présent), je me suis laissée happer par la plume de Isla Morley et convaincre par ses personnages touchants et atypiques. Nous sommes spectateurs de ce récit au ton pressant, qui semble nous entrainer vers une inéluctable tragédie.
Ce roman est à la fois une ode à la vie et à la nature, et un déchirement, un crève cœur. L'auteure y aborde une maladie héréditaire rare et méconnue : la méthémoglobinémie, qui rend la peau bleutée. Là où le sujet est encore plus intéressant, c'est la façon dont le traite Isla Morley, dans un lieu reculé, à une époque où les personnes bleues sont diabolisées, du fait de l'incompréhension du phénomène et de la peur que cela suscite. Ainsi, la famille Buford est exclue, voire martyrisée pour sa différence et est forcée de vivre en marge de la société, dans la peur de la prochaine attaque d'hommes à l'esprit étriqué.
C'est un sentiment d'injustice et d'impuissance qui nous accompagne durant notre lecture. Injustice pour Jubilee et son frère Levi, qui sont condamnés à vivre seuls : ne pouvant côtoyer "ceux de la bonne couleur" en dehors des personnes de leur famille. Injustice pour leur petite-sœur Willow-May, qui n'est pas bleue, mais soumise au même régime. Injustice contre ceux qui s'en prennent à eux gratuitement sans en être inquiétés.
"Ceux de la bonne couleur"; c'est de cette manière que les Buford désigne les personnes "blanches". Cette appellation simpliste mais pourtant si parlante. Comme si eux (Jubilee et Levu) n'étaient pas "comme il faut". Comme si il fallait répondre à certains critère pour être "approuvé". J'ai énormément apprécié cette famille unie, travailleuse et accueillante; prête à offrir l'asile à un inconnu, alors qu'eux-mêmes sont rejetés. Ils se satisfont de la vie qu'ils mènent, profitant de la nature, du travail de la terre et des moments en famille; ils ne se mêlent pas aux autres, et pourtant les villageois les provoquent, vandalisent leurs récoltes, tirent sur leur maison. Cela est plus que n'en peut supporter Levi, l'aîné, l'impulsif, le rêveur. Aussi, il rend coup pour coup, sans s'apercevoir, peut être, qu'il ne fera jamais le poids contre la bêtise et la folie de ceux qui se croient dans leur droit.
Havens et Massey, respectivement photographe et journaliste, débarquent dans cette bourgade, au milieu des non-dits, des ragots, des insultes et se retrouvent confrontés aux Buford et à la chasse aux sorcières qui leur est donnée. J'ai beaucoup aimé voir le comportement d'étrangers, propulsés dans cet univers exigu. La fascination pour l'un, l'intérêt pour l'autre. Comment deux êtres liés par des années de soutien mutuel, se retrouvent partagés sur l'attitude à avoir.
Massey est un homme volubile, il lie facilement connaissance, fait le pitre, a des dehors avenant. Mais son comportement est trompeur, car malgré ses beaux discours et ses promesses, il se soucie peu des personnes qu'il côtoie, partant du principe que si lui ne fait pas un article (qui en plus va les aider à faire bouger les choses), d'autres le feront. Pour arriver à ses fins, il est prêt à tous les mensonges.
Havens est un homme perdu, artiste dans l'âme, il aime les choses simples et étudier ce qui l'entoure sous tout les angles, attendre la lumière adéquate pour immortaliser les personnes ou les paysages. Côtoyer les Buford, et plus particulièrement Jubilee va lui permettre de prendre le temps de retrouver sa passion d'antan, de retrouver goût à la vie. C'est aussi cela que j'ai apprécié : l'échange, le respect mutuel qui se construit.
Entre Havens et Jubille, la rencontre était évidente. Pourtant, tant de choses les séparent; à commencer par le racisme et la jalousie des villageois. Ainsi, l'un comme l'autre, auront à traverser de terribles épreuves, tout en bâtissant pierre à pierre, une relation émouvante. On ressent l'attirance et la fascination qu'ils exercent l'un sur l'autre, tout comme les doutes qu'ils nourrissent sur l'intérêt qui leur est porté. La romance n'est pourtant pas le sujet principal ici. Acceptation de soi, préjugés, confiance et deuil sont au cœur du vallon des Lucioles.
Un très beau récit, parfois dur, qui avance doucement et nous réserve une très belle fin, que j'avoue ne pas avoir anticipée.
Toutes ces photographies représentent les sujets tels qu'ils semblent être, et non pas tels qu'ils son. On croit toujours que la photographie ne ment pas mais c'est faux. Les photos ne montent pas tout, elles omettent certains aspects, et ces omissions sont beaucoup plus sournoises que des mensonges intentionnels.
Parce que vous croyez qu'il existe un endroit dans le monde où les gens s'aiment tous ? Si ce n'est pas à cause de la couleur de leur peau, on leur cherchera des crosses à cause du dieu qu'ils prient ou de la rive sur laquelle ils ont construit leur maison.
Malgré ce qu'on croit communément, les photographies ne conservent pas les souvenirs; elle les étoilent. En se concentrant sur le quart de seconde correspondant à l'image elle-même, on néglige les moments qui ont mené jusque-là et tous ceux, poignants, qui ont suivi. Lorsqu'on examine trop une photo, on oblitère - et plus vite que ça - les odeurs, les caresses, les battements de cœur.
Perdre quelqu'un, c'est comme être emporté par une crue, on manque de se noyer et on part à la dérive; on ne choisit pas le moment où l'on retouche terre.
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