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Aux portes de la mémoire - Felicia Yap


Aux portes de la mémoire

Auteur : Felicia Yap

Éditeur : Harper Collins (13/02/2019)


Résumé :

Claire Evans vit dans un monde où la mémoire à long terme est une utopie. En sortant de l'adolescence, hommes et femmes découvrent à quelle catégorie ils appartiennent. Les chanceux font partie des Duos, capables de se souvenir des dernières 48 heures de leur vie. La mémoire des Monos, comme celle de Claire, se limite à la journée de la veille. Chaque soir, tous consignent religieusement leurs souvenirs sous peine d'oublier qui ils sont. Qui ils aiment. Ce qu'ils ont fait. Ou ce qu'on leur a fait. Ainsi, le jour où un policier annonce à Claire que son mari aurait assassiné sa maîtresse deux jours auparavant, c'est le trou noir. Que s'est-il réellement passé ? Pour Claire, le compte à rebours a déjà commencé.


Avis :

Merci aux éditions Harper Collins pour cette nouvelle découverte ! Aux portes de la mémoire est vraiment un roman surprenant, très bien pensé et surtout hyper addictif !

Felicia Yap nous plonge au cœur d’une sorte d’univers parallèle (le récit se déroule entre 1995 et 2015 grosso modo) où les hommes n’ont plus de mémoire à long terme. Ils sont divisés en deux « castes » : les monos, qui ne se rappellent que de la journée passée et perdent leurs capacités mémorielles à 18 ans ; et les duos, qui ont une mémoire de 2 jours à compter de leur 23e anniversaire. Si dans notre monde nous constatons toutes sortes de discriminations : raciales, religieuses… dans Aux portes de la mémoire, ce sont les monos qui en sont victimes, jugés inférieurs, voire idiots pas les duos. Ils se voient régulièrement traités de haut et certains postes leur sont définitivement fermés. J’ai trouvé très pertinent de mettre ce monde en parallèle avec le nôtre par le biais d’un roman : l’un des personnages principaux, romancier célèbre, projette d’écrire une dystopie sur des hommes ayant toute leur mémoire. Les réactions sont instantanées : mais quelle idée, c’est complétement idiot d’imaginer de telles choses ! Il y a plein d’autres petites allusions de ce style qui m’ont fait sourire (Steve Jobs inventant le iDiary par exemple) et m’ont plongée un peu plus dans cette histoire de dingue ! Pour finir de vous développer un tout petit peu la base et comprendre comment l’on peut s’en sortir sans mémoire, monos et duos sont contraints de tenir une sorte de journal dans lequel ils consignent les évènements de leurs journées ; ainsi, à travers ces « entrées », ils peuvent apprendre des « faits » et les retenir non pas comme des souvenirs mais comme des connaissances. Il est fréquent de retrouver dans Aux portes de la mémoire des phrases du type « Fait : … » lorsque l’un des personnages énonce une vérité sortie de son journal.

Voilà un peu le topo. J’ai vraiment adoré Aux portes de la mémoire tant pour son aspect addictif que pour son originalité et le suspense maintenu tout du long. On pense savoir des choses, mais l’on découvre petit à petit, à travers le regard (ou les journaux) de quatre personnages qu’il n’en est rien. Après tout, on peut bien créer sa propre vérité puisque toute notre connaissance repose sur ce que l’on écrit, pourquoi ne pas conserver que ce que l’on souhaite et se construire le passé qui nous arrange ?

Les personnages ne sont vraiment pas attachants. Aucun. Et la narration est très particulière. J’ai été heurtée dès les premières pages, par cette voix vengeresse qui s’adresse à nous (c’est en tout cas l’impression que l’on a). Il faut un certain temps pour s’y faire. Les chapitres s’enchainent, entrées de journaux ou récits faits par Sophia, la victime (qui a toute sa mémoire), Mark, son amant duo et écrivain, Claire, la femme mono de ce dernier et Hans, le policier chargé de l’affaire, mono ayant caché sa condition pour mener à bien sa carrière. Ainsi, en fonction du narrateur, le rythme est différent, violent parfois (notamment lorsque c’est Sophia qui s’exprime) tant dans le vocabulaire que dans la ponctuation, la syntaxe des phrases ou leur longueur. Nous avons par moment l’impression de lire un télégramme « ai fait… ». Ce changement de rythme rend le récit dynamique et stimule l’intérêt du lecteur.

Entre enquête, analyse des faits et révision du passé à travers de vieilles entrées de journaux, nous sommes pris dans une spirale infernale où il nous faut apprendre à voir au-delà des apparences. Et lorsque la lumière se fait, nous comprenons que personne n’est ce qu’il semble être et que des décisions qui pouvaient paraître bonnes sur le moment n’auront fait que retarder l’inévitable. L’atmosphère est tendue, les masques se fissurent, la course contre la mémoire afin de résoudre le meurtre de Sophia est efficace. J’ai un peu regretté la tournure que prenait les évènements sur la fin, comme si tout était un peu trop évident.. et BAM ! Felicia Yap m’a scotchée.

Aux portes de la mémoire, c’est une histoire de revanche, on l’apprend dès le prologue ; la rancune accumulée et amplifiée par 17 années d’enfermement, comment une décision, aussi anodine soit-elle peut avoir des conséquences énormes. L’effet papillon. C’est aussi l’impact des non-dits… est-ce que tout fini réellement par se savoir ? La difficulté à évoquer les sentiments, la gestion de la culpabilité par des moyens parfois absurdes, le besoin de se faire passer pour ce qu’on n’est pas. Tout cela n’est guère différent, je pense dans notre société. Peut-être en est-ce un peu une satire aussi finalement ; notamment lorsqu’il est question des réseaux sociaux (et de l’iDiary) sur lesquels on ne fait apparaître que l’image que l’on souhaite renvoyer à la société, se « souvenir » uniquement de ce que l’on a décidé. N’est-ce pas le miroir de notre quotidien ?

Je m’égare ! Vous le constaterez (ou non) à travers mes élucubrations, mais je suis encore sous le choc. Je crois qu’on frôle le coup de cœur pour ces personnages antipathiques et cette histoire de dingue tellement bien ficelée.


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