De femme et d'acier
Auteur : Cécile Chabaud
Editeur : L'ARCHIPEL (22/08/2024)
200 pages
Résumé :
5 juin 1919. Alors que la nuit tombe, le docteur Nicole Mangin, 40 ans, tente de trouver le sommeil et se remémore les moments forts de son existence.
Spécialiste de la lutte contre les maladies contagieuses et le cancer, elle se souvient surtout du front de Verdun, où elle a été mobilisée par erreur.
C'est parmi les poilus, sous les bombardements, dans des hôpitaux militaires et des installations de fortune, qu'elle écrira son destin.
Amie de Marie Curie, féministe courageuse confrontée à la dureté de la guerre et à la misogynie, Nicole se rappelle aussi ses fêlures de femme. Car, plus que quiconque, elle le sait : c'est de la douleur intime que naît le dépassement de soi.
Je me sentirai fière quand je pourrai former des infirmières. Je veux allier la transmission à la pratique. J'apprendrai les bandages, les premiers soins d'urgence, les manières de relever et d'aider les blessés… Rien ne sera plus satisfaisant pour moi que si les femmes, beaucoup de femmes, toute pourquoi pas, comprennent enfin qu'elles ont un rôle capital à jouer dans ce monde. Puisqu'il semble impossible de supprimer le mal, l'indigence, les guerres, je leur donnerai les outils pour sécher toutes les larmes de l'humanité.
Avis :
Il y a trois ans j'ai découvert Cécile Chabaud avec son livre Prof ! dont je garde un excellent souvenir. Lorsqu'on m'a proposé de lire sa nouvelle parution, à l'occasion de la rentrée littéraire, même s'il s'agit d'un tout autre genre, je n'ai pas hésité et j'ai été ravie de retrouvé la plume de Cécile.
Au bout de deux chapitres déjà, j'étais conquise. Lorsque j'ai refermé De femme et d'acier, la première chose que j'ai faite c'est conseiller à mes compagnes du comité de lecture Cultura de ne surtout pas passer à côté de ce roman. La seconde, d'envoyer ce message aux autres partenaires des éditions de l'Archipel : Wow. Quel livre. Quelle femme. Si je m'étais réellement laissé aller, j'aurais pleuré plus d'une fois.
Ce livre est extraordinaire. Nicole Mangin était une femme extraordinaire néanmoins, je n'en avais jamais entendu parler. Pourtant, l'unique femme médecin mobilisée durant la première Guerre Mondiale (par erreur forcément), c'est un fait dont on pourrait parler dans les livres d'Histoire. Cécile Chabaud lui rend hommage de la plus belle des manières, en retranscrivant sa vie avec une plume délicate et aiguisée. Même si, le lecteur ne saura jamais vraiment quelle est la part de Nicole et la part de Cécile dans ce récit, il a accès (à la fin du roman) aux ouvrages et journaux compulsés par l'autrice, et peut constater qu'elle a eu accès aux documents personnels de la famille Mangin, notamment les lettres et écrits de Nicole. J'imagine l'autrice, à la manière d'une actrice, s'imprégner du personnage, faire corps avec Nicole pour lui prêter ses mots. Cela a dû être un exercice à la fois difficile (avec l'envie de faire juste) et grisant. Mais je m'égare.
Revenons à De femme et d'acier. Cette biographie romancée (peut-on l'appeler ainsi ?) est doublement intéressante : elle nous permet de découvrir le docteur Mangin et nous présente les conditions de vie de l'époque avec son regard féministe. Ainsi, en parallèle de la guerre et de sa mobilisation, nous assistons aux combats menées par les femmes, actrices ou mécènes, pour une meilleure justice sociale. Sont évoqués les conditions de travail des enfants (les femmes étant considérées au même titre) ou encore le patriarcat ancré dans les mœurs (la femme passe du joug de son père à celui de son mari). Nous assistons à la naissance des actions sociales et des premières assistantes sociales. Nicole côtoie de grands noms féminins, comme la fondatrice des Guides de France, les fondatrices d'œuvres sociales ou reconnues d'utilité publique, la première femme française diplômée en psychiatrie ou encore la célèbre Marie Curie. Elle côtoie également des femmes moins connues mais tout aussi engagées, volontaires et exceptionnelles.
Cécile Chabaud retrace les grands moments de la vie du médecin, en commençant par son mariage. Puis, entre chaque souvenir, elle intercale les pensées de Nicole, en juin 1919. Nicole semble souffrir, nous ignorons de quoi, et revit ces instants qui ont fait d'elle ce qu'elle est devenue. J'ai bien peur de ne pouvoir, à mon tour, rendre hommage à Nicole et Cécile. Mes mots ne semblent pas assez forts, mon corps a réagi à la découverte de la vie de Nicole, mais je ne me sens pas capable d'exprimer toute l'admiration que j'ai éprouvé, tous les sentiments qui m'ont traversée à la lecture. Elle a dû, toute sa vie, s'imposer, justifier sa place. La première réaction des hommes qui l'accueillaient lors de ses différentes affectations était de penser qu'elle était perdue puis, lorsqu'ils prenaient conscience qu'elle était le médecin qu'ils attendaient, ils voulaient la renvoyer. Alors qu'elle était extrêmement compétente. Et plus courageuse que la plupart d'entre eux. Elle est allé sur le front, elle n'a jamais abandonné ses malades et elle a vu les pires horreurs (horreurs qui sont parfois retranscrites dans le livre). Heureusement, tous les médecins n'étaient pas hostiles et certains militaires ont su changer d'avis après l'avoir vue à l'œuvre.
Plus d'une fois, j'ai cité des passages à mon mari. Je lui disais non mais c'est fou, tu te rends compte ! Quelque part, il a un peu lu le livre avec moi. J'ai aussi été bluffée par la répétition des choses : les épidémies de tuberculose, de fièvre typhoïde et de grippe espagnole n'ont pas été sans me rappelé ce que nous avons vécu en 2020. La première par les mesures d'hygiène qu'il a fallu expliquer et appliquer (ses fameuses mesures barrières), la seconde par la vaccination obligatoire des soldats dans les tranchées (un vaccin aux effets secondaires avec deux doses que beaucoup refusaient) et la dernière par sa grande mortalité. Enfin toujours cette fracture entre les décideurs et les combattants : les uns, "tranquillement" à l'abri, prenant les décisions pour les autres, vivant l'horreur. Si la situation a bien évolué pour les femmes et les enfants durant le siècle qui s'est écoulé, il n'y a toujours pas de justice sociale ni de décideurs qui voient les choses les pieds dans la boue.
C'est un récit d'autant plus poignant qu'il est vrai. Une femme d'autant plus admirable qu'elle est un précurseur (comme médecin, je ne pense pas qu'il y ait de féminin), elle ouvert la voix à tant d'autres, s'oubliant au passage. Nicole était une femme dévoué aux autres. A tous les autres. Un modèle d'abnégation. Et c'est les larmes aux yeux que je relis la dernière page avec cette reconnaissance. ENFIN. Même si pour elle, la seule qui comptait était celle de ses patients.
Dans quelques années, j'aurai le même âge qu'elle à sa mort. Pourtant, quand je vois ce qu'elle a vécu, ce à quoi elle a participé, les souffrances qu'elle a traversé, je me fais figure d'une enfant.
Pour ceux qui préféreraient une version courte, effrayés par la prodigalité de ma plume, j'ai eu un énorme coup de cœur pour De femme et d'acier et la femme derrière les mots, tout comme pour la manière dont Cécile Chabaud nous la livre. LISEZ-LE. Vraiment.
Etienne, un homme qui a combattu a droit à tout les honneurs. Ne t'attarde jamais sur la laideur de tes cicatrices. Cette laideur t'offre la liberté. Ne la critique pas et ne laisse personne la critiquer.
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