Mon cœur serré comme une sardine
Auteur : Karen Merran Éditeur : EYROLLES (04/03/2021)
420 pages
Résumé :
Jacob a huit ans et vit à Safi, une petite ville côtière du Maroc qui sent bon les épices et la sardine. Son meilleur ami, Brahim, est musulman. Ensemble, ils partagent tout et jouent aux osselets. Ils sont juifs et musulmans, mais se vivent d'abord comme des Marocains. Pourtant, à la veille de la guerre des Six Jours, les relations entre Israël et les pays arabes se tendent. Le climat entre les communautés juive et musulmane se dégrade aussi à Safi. L'amitié de Brahim et Jacob résistera-t-elle ?
Je ne sais pas pourquoi, mais je suis énervé contre lui. Mon père est souvent en colère contre les musulmans en ce moment à cause de l'actualité et je me demande si ce n'est pas à cause d'eux que ma sœur est tombée malade. Je ne sais pas comment exactement, mais je commence à avoir des doutes.
Avis :
Ce roman et moi c'est un peu un hasard. Un hasard qui s'appelle Babelio et qui n'aurait pas pu viser plus juste. Ce roman, c'est un beau coup de cœur pour un sujet qui m'était totalement inconnu; la situation des juifs marocains durant les années 60 et l'impact de la guerre de 6 jours entre l'Egypte et Israël. Le tout porté par la voix de Jacob, petit dernier d'une famille de 6 filles, tout ce qu'il perçoit et ses efforts pour améliorer la situation.
Karen Merran explique, dans son épilogue, les raisons qui l'ont poussé à écrire ce roman, d'où lui vient son inspiration, et cela renforce encore les sentiments qui ont pu m'étreindre au cours de ma lecture.
Mon cœur serré comme une sardine est un roman magnifique, à la fois drôle, triste et poignant. La narration, à la première personne du singulier, selon le regard candide et bienveillant de Jacob, naïf parfois, est une vraie force. Elle amplifie la perception des événements vécus par la famille Benshimon et leurs voisins. Les incompréhensions de Jacob, qui écoute les conversations d'adultes, parce qu'on ne lui explique rien, mènent parfois à des situations cocasses, qui allègent les autres sujets abordés. Le choix de l'auteure était totalement conscient, elle souhaitait pouvoir parler sans contraintes et sans risque de polémique; pour cela, quoi de mieux que le regard d'un enfant qui appréhende le monde et se questionne ? Un enfant tellement attaché à son pays et sa ville qu'il ne comprend pas pourquoi il devrait les quitter ?
Durant ma lecture, je suis passé du rire - relisant même certains passages à mon mari - aux yeux humides. Si j'ai d'abord pensé que lire un roman entier avec des mots d'enfant, un regard simpliste, aller me sembler long, cela n'a pas du tout été le cas, j'ai été totalement immergée dans le quotidien de Jacob et son combat, à son niveau, épaulé par son meilleur ami, pour se préserver du malheur.
Karen Merran parle de ces juifs marocains, qui ont grandit auprès de leurs amis musulmans et qui, brusquement, se sont retrouvés à vivre dans la peur. La peur d'être accusé de sionisme, la peur d'aller au marché car le commerçant que l'on connaît depuis toujours se met à nous ignorer; la peur de ne plus être libre dans son propre pays, ce pays que l'on aime pourtant plus que tout. Pourtant, comme le répète plusieurs fois Jacob, il est peut être juif et Brahim musulman, mais ils sont avant tout marocains.
Le roman se découpe en deux parties, une qui est préalablement parue en autoédition, et la seconde qui a été rédigée à postériori pour la parution Eyrolles. Cette seconde partie marque une fracture: changement de pays, changement de mode de vie et nouveaux problèmes.
Dans la première partie nous découvrons, sous la plume de Karen, la jolie ville portuaire de Safi. Nous vivons au rythme des journées de Jacob, entre école, jeux avec son meilleur ami musulman, fêtes juives, réunions de famille et inquiétude liée aux sujets qu'il ne comprend pas. Nous ressentons toute l'injustice liée aux réactions de certains musulmans et des forces de police à l'encontre des juifs, le désarroi de Jacob qui, fort de sa foi mobilise toutes ses forces pour préserver les siens.
Dans la seconde partie nous découvrons le déracinement, la désillusion de ne pas trouver ce qu'on attendait, le manque de sa terre d'origine, de la facilité des choses là bas. Car les combats français ne sont pas les mêmes, en pleine révolte étudiante, annonciatrice de mai 68, les enfants s'émancipent et prennent leur avenir en main. La vision des parents n'est plus partagée et le désir de Jacob de rejoindre sa patrie et son ami plus fort que jamais.
J'ai tellement aimé les sentiments qui se dégagent de ce roman. Les liens familiaux, les choses qui changent alors qu'on souhaiterait que tout reste toujours pareil, l'amitié indéfectible de deux petits garçons qui prennent soin l'un de l'autre, même à distance. Les sœurs de Jacob, aux caractères si différents, mais toutes tellement bienveillantes envers leur petit frère, les différents combats qu'elles mènent. Si la multitude de personnages rime parfois avec dispersion, il n'en est rien ici, Karen Merran fédère ses personnages autour d'un noyau familial où il fait bon vivre. C'est un récit qui date d'une autre époque, une époque où la parole était moins libre avec les enfants, et les mots captés sujets aux plus improbables des spéculations.
Quel fabuleux roman !
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