Il y a deux ans, il était présent à la Foire du livre de Brive. C’est d’ailleurs là où il a rencontré Elsa qui est devenue l’une de ses bêta lectrices durant l’écriture de « Quartier libre ». Etant donné son actualité littéraire d’octobre : la sortie de « Rubiel e(s)t moi » chez Pocket et la sortie de « Quartier libre » chez Michel Lafon, nous nourrissions l’espoir de l’y retrouver et de réaliser cette interview en face à face. Malheureusement, en raison des contraintes sanitaires, la Foire a été annulée. Vincent s'est donc gentiment prêté au jeu des questions / réponses virtuelles. Merci !
Qui est Vincent ?
Vincent Lahouze est un jeune écrivain de trente ans. Découvert sur les réseaux sociaux par ses textes très personnels, aussi puissants qu’engagés, il a fédéré autour de sa plume et de ses valeurs humanistes une fidèle communauté de lecteurs qui ne cesse de croître.
Questions / Réponses
Tu as sorti ton premier roman il y 2 ans, c’est un texte très personnel. Avant cela, tu écrivais sous forme de billet sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ? Comment est venu le projet du livre ?
J’écris sur les réseaux depuis que j’ai environ 20 ans, suite à une déception amoureuse qu’il me fallait extérioriser d’une certaine manière. J’ai commencé sur des blogs, en anonyme, puis avec l’émergence de Facebook, je me suis tourné vers un autre public. J’ai expérimenté pas mal de façon d’écrire durant des années, de la poésie, du slam, je me suis créé divers personnages, différents alter-égo pour trouver ce qui me convenait, qui me parlait le plus. Peu à peu, j’ai commencé à rédiger des billets d’humeur, d’amour, d’un peu de tout, sur moi, ma vie, mes rencontres, mon passé… Mon cercle de lectrices et de lecteur a commencé à s’élargir. Je n’avais pas pour ambition de sortir un livre un jour, encore moins d’être publié. Mais le hasard, ou le destin, a fait que… J’en suis là, et j’en suis très heureux
As-tu ton mot à dire sur les couvertures de tes romans ?
Pour Rubiel e(s)t Moi, l’équipe de graphistes de Michel Lafon m’a proposé de juxtaposer le visage d’un petit enfant et le mien, côte à côte. J’ai fourni une photo de moi, à 4 ans. Et la magie a fait le reste. Pour la couverture poche, là encore, j’ai proposé d’utiliser une photo symbolique, la toute première que mes parents ont reçue de moi, depuis la Colombie. Cela a été accepté avec enthousiasme et j’en suis tellement reconnaissant… Enfin, pour Quartier Libre, j’ai fait entièrement confiance à ma maison d’édition, je savais que ça allait me plaire ! Et c’est le cas.
Jusqu’à présent, tu travaillais auprès des jeunes du Mirail, à Toulouse. Aujourd’hui, tu as quitté ton poste pour rejoindre Camille, ta compagne, en Suisse. As-tu des projets professionnels ? Envisages-tu de vivre du métier d’écrivain ?
En effet, je me suis mis en congé sans solde pour une durée d’un an, afin de voir comment se passe la vie en Suisse, avec Camille. Je ne compte pas vivre du métier d’écrivain, d’une part parce que je suis tout nouveau dans le milieu et que ce serait assez présomptueux de prétendre vivre de ma plume, et d’une autre part, j’ai besoin d’avoir un métier qui me nourrisse, qui exacerbe mon imagination, mes ressentis. Vivre uniquement de mes livres sera peut-être un objectif dans quelques années mais pas pour l’instant. Pour cela, je compte continuer ce que je sais le mieux faire, m’occuper d’enfants et de jeunes défavorisés dans le social. Bien qu’on ne l’imagine pas forcément, il y a également des besoins en Suisse, donc… Je continuerai de mener mes deux vies, à la fois !
Comment s’organisent tes journées et quel est ton moment de prédilection pour écrire ?
Ah la fameuse question des rituels… Je dois avouer que je n’en ai pas vraiment. J’essaye de ne jamais rentrer dans une routine, que ce soit dans ma vie ou dans l’écriture. Cependant, je suis plus à l’aise pour écrire la nuit, dans le noir, en silence. J’ai l’impression de mieux respirer. D’être en paix avec moi-même, avec ce qui m’entoure.
Tu as l’habitude d’écrire sur des sujets personnels. N’est-ce pas plus compliqué ? Ou contraire, cela rend-il tes écrits plus forts ?
C’est un pari assez risqué que j’ai voulu prendre, dès le début. De mettre en lumière mes zones d’ombre, ma vie privée, mes amours, mes ruptures, tous les sentiments qui font qu’on est vivant. Je ne sais pas écrire autrement, j’ai besoin que ça me parle pour que cela parle aux gens qui me lisent. J’ai le sentiment que cela rend mes écrits plus forts, ou du moins plus sincères, plus authentiques. D’ailleurs, j’ai pu constater régulièrement que si j’écrivais un texte auquel je ne croyais pas, que je ne le ressentais pas dans mon ventre comme les autres, ma communauté le savait aussi. On ne peut pas tricher avec l’écriture, on peut jouer avec la réalité, flirter avec les limites de l’art, mais au fond, on ne peut pas tricher.
En tant que lecteur, quel genre de lectures as-tu l’habitude de lire ?
Je lis depuis toujours, j’aime lire de tout, avec une préférence pour les romans noirs, les histoires à la Chanson Douce de Leïla Slimani, par exemple. Des histoires cruelles, mais si ordinaires, au fond. J’aime lire de la poésie, aussi, du feel-good, de la fantasy, du SF. Et depuis que je suis avec Camille, je me suis découvert un certain intérêt pour les thrillers et les romans policiers. Je pensais naïvement que ce serait sûrement redondant mais non… Bref, j’aime lire de tout, vraiment.
Quel est ton processus d’écriture ? Connais-tu dès le début la fin, le fil rouge ? T’autorises-tu à faire évoluer l’histoire ou les personnages au fil de l’écriture ?
Oh, c’est simple, je me laisse porter. J’ai un squelette, un fil rouge que j’essaye de suivre tant bien que mal mais en vérité, je me laisse surprendre par le récit et les personnages. Avant, j’avais tendance à me moquer, gentiment, des auteurs qui disaient cela. Mais il m’a fallu le vivre pour le comprendre. Que ce soit pour Rubiel ou Quartier Libre, je n’avais pas du tout imaginé cette fin, certains destins, mais finalement… Il fallait que ce soit ainsi, alors j’ai accepté.
« Rubiel e(s)t moi » est en partie autobiographique et « Quartier libre » s’inspire de ton quotidien. Est-ce que l’on peut considérer que tout ou presque fait partie de ton vécu, dans tes romans ?
J’imagine que chaque auteur met de soi dans ses écrits, mais il est vrai que dans mon cas, j’y mets beaucoup de moi, là ! En effet, on peut considérer que presque tout fait partie de mon vécu, romancé ou non. Comme dit plus haut, j’ai besoin, pour le moment, de vivre les choses pour les raconter de la meilleure des manières, au plus près de la vérité.
Est-ce que tu as vraiment croisé la route d’Ismahane dans ta vie ? Quelle est sa part de vrai, dans le monde réel ?
Ismahane existe réellement, oui ! Mais elle est bien en vie, heureusement ! C’est une ado de mon centre de loisirs que j’apprécie énormément et j’ai eu envie de l’immortaliser dans ce récit, de par son caractère, sa fougue et son impulsivité. Mais les ressemblances s’arrêtent là. Elle est promise à un bel avenir, contrairement à mon récit, malheureusement.
Dans ton dernier roman, si tu devais te comparer à un personnage, lequel te ressemblerait le plus ? Ou plutôt, lesquels ?
Forcément, Olivier me ressemble beaucoup, surtout à ses débuts. Perdu, ignorant, immature en arrivant sur Toulouse à 20 ans. Beaucoup de faits racontés dans le récit me sont vraiment arrivés, biens comme mauvais. Mais je me retrouve aussi beaucoup en Yassine, avec cette part d’ombre et de violence qui danse dans ses yeux. S’il avait pu naître autre part… J’ai essayé de mettre de moi, de mon quotidien, dans un peu tous les personnages… J’ai une tendresse toute particulière pour Brahim, le père d’Ismahane, aussi. Pour Pierrick, pour Boris. Pour tous J
En parlant de personnages, quelle est ta relation avec eux ? Que ressens-tu lorsque tu termines un livre (ou une série) et que tu dois les laisser derrière ?
J’ai une relation assez viscérale avec les personnages que je croise, que ce soit dans un livre ou dans une série, depuis que je suis tout petit. Je suis un caméléon, j’ai besoin de faire du mimétisme avec eux. Cela se traduit surtout physiquement, je crois. Quand j’ai fini Breaking Bad, je me suis rasé entièrement le crâne. Quand j’ai regardé Vikings, je me suis laissé pousser les cheveux et la barbe, j’ai même commencé à apprendre le norvégien. J’ai longtemps voulu intégrer l’équipe des Avengers aussi, mais sans succès ;) En somme, j’aime m’identifier à ce que je vois. Cela peut être un peu déroutant voire dangereux, selon ce que je regarde ou ce que je lis. (Après, qu’on se rassure, je n’ai pas embrassé une future carrière de serial killer ou de narcotrafiquant, j’ai mes limites.)
« Rubiel e(s)t moi » évoque ton adoption à travers ta plume poétique, sensible et brut. Qu’as-tu ressenti lorsque tu as posé le point final de Rubiel e(s)t moi ? Est- que tu as eu l’impression de vivre un avant et un après Rubiel ?
J’ai ressenti deux sentiments contraires qui m’ont profondément impacté. D’un côté, j’étais si heureux et fier d’avoir écrit ce livre, d’avoir mis des mots sur ce passé que je n’arrivais pas à comprendre. Et puis d’un autre, j’ai eu une vague de tristesse absolue, de voir tant de personnes me lire, se prendre en photos avec mon roman, j’ai eu l’impression d’être dépossédé, qu’on m’arrachait des milliers de bouts de mon âme, c’était très intense. Mais après deux ans, oui, il y a un avant et un après Rubiel. J’ai grandi, j’ai mûri. Réellement. Je reste un éternel petit con, un sale môme mais je suis aussi devenu un homme, je le sais. J’ai plus d’assurance pour parler en public, je maîtrise davantage mes émotions, je me suis assagi, que ce soit sur les réseaux ou dans ma vie privée, aussi. Un peu.
As-tu une liste de sujets que tu ne souhaites pas aborder (un peu comme une blacklist) ou au contraire, tu t’autorises tout ?
Certaines expériences désagréables m’ont appris qu’il y avait certains sujets qu’il ne fallait pas aborder si tu ne sais pas les maîtriser. Bien que l’art devrait pouvoir être totalement libre (tout en restant dans la liberté d’expression, on est d’accord), je pense qu’en tant qu’homme, il y a des thèmes que je ne peux réellement approcher sans avoir un profond sentiment d’imposture. Je l’ai appris, je l’ai compris. Du coup, j’écris sur ce que je connais, c’est mieux :)
Y-a-t-il un style d’histoire auquel tu ne t’es pas encore essayée mais que tu pourrais tenter d’écrire ?
À force de lire actuellement des romans policiers, je dois avouer que c’est un style que je serai tenté d’essayer un jour, mais je ne suis pas sûr d’avoir le talent et l’imagination nécessaire. Un jour, qui sait… Mon ambition ultime serait d’écrire un livre dans chaque genre possible. Le premier était semi-autobiographique, le second est un roman noir, social… Le troisième sera un roman d’amour, qui sait ?
As-tu déjà envisagé d’écrire en collaboration avec un autre auteur ? Si tu devais le faire, que rechercherais-tu chez cet auteur ?
Je dois avouer que je suis quelqu’un d’assez solitaire, je ne sais pas trop si je serai capable d’écrire en collaboration. Je l’ai fait par le passé, pour des textes courts. Mais pour un roman, ce serait bien complexe à mes yeux. Mais si cela devait arriver, je rechercherai la même authenticité que moi, la même envie de s’affranchir des codes, la même folie.
Quel message veux-tu faire passe au lecteur avec tes romans ?
Lisez, qu’importe le style, lisez. (Et éteignez la télévision-poubelle.)
Quelles sont tes influences littéraires ?
Je ne sais pas si j’ai des influences littéraires, je m’inspire de tant d’auteurs. Mais mes premières influences ont été Marguerite Duras, Agota Kristof, surtout. Par la suite, Stephen King, le Maître absolu, bien que je ne saurai jamais écrire comme lui !
Musicales ?
Ah là encore, j’écoute de tout. Mais j’ai été baigné depuis tout petit, par les mots de Brel, Cabrel, Nougaro, Ferra, Ferré, Piaf… J’imagine que mon intérêt pour la beauté vient de là. Je suis un immense fan de rap français, n’en déplaise aux puristes, il y a tant de diversité dans ce style musical. Il faut chercher, savoir écouter, et ressentir.
Ton auteur préféré ?
Actuellement, je voue un culte à Régis Jauffret et ses micro fictions, à Claire Castillon pour le cynisme de sa plume, mais je pourrais citer des dizaines et des dizaines d’auteurs que j’admire et dont certains sont devenus des amis chers à mes yeux. (Coucou Olivier Liron, coucou Félix Radu…)
Un roman que tu conseilles ?
Reviens, de Samuel Benchetrit / Trois jours et une vie, de Pierre Lemaître / Deux sœurs, de David Foenkinos… (et tous les livres de WajdiMouawad)
Ton dernier coup de cœur littéraire ?
Le Fumoir, de Marius Jauffret (le fils de Régis Jauffret). Oui, oui, décidément le talent est génétique dans cette famille.
Quel est le livre que tu aurais voulu écrire ?
Question difficile, il y en a tant mais là, tout de suite, je me dis que j’aurai voulu écrire Le Grand Cahier d’Agota Kristof, et toute la trilogie, en fait. L’œuvre qui m’a le plus impacté, dans ma vie. À LIRE.
Pour finir, une annonce sur tes futurs projets à nous faire ?
Aha… Alors, on va déjà attendre que Quartier Libre sorte et aille à la rencontre des lecteurs. Mais pour être tout à fait transparent, je commence à travailler sur un possible roman 3, je dessine les contours et mon éditrice a plus ou moins validé le pitch donc… Let’s go ;)
Portrait chinois
Si tu étais…
Un film – Joker, direct ! Quelle performance de Joaquim Phoenix ! Un roman – Le petit Prince, de St Exupéry. Une actrice – Eva Green, pour sa beauté, son accent, sa prestance. Un animal – Un Phénix, forcément. Un objet inanimé – Un briquet. Un pays – Neverland, le pays imaginaire de Peter Pan. Une couleur – Le rouge et le noir ;) Un vêtement – Une veste noire. Un sentiment – L’insécurité. Une chanson – Frozen de Madonna, et Tôt le matin, de Gaël Faye. Une saison – L’automne, définitivement.
Ses ouvrages
Rubiel e(s)t moi
Michel Lafon / Pocket
« Si je devais me souvenir d’une chose, d’une seule chose, ce serait la vision des murs gris de l’Orphelinat du Bienestar de Medellin et des portes qui claquaient lorsque nous courions dans les couloirs, le bruit sourd de mes pieds nus sur le parquet de bois délavé et poussiéreux. Oui, d’aussi loin que je me souvienne, la couleur n’existait pas.
Je suis né en Colombie, à la fin de l’année 1987, mais je n’ai commencé à vivre qu’en 1991. »
Quartier libre
Michel Lafon - à paraitre le 15/10/2020
Février 2017, Olivier, éducateur d’une trentaine d’années, assiste à la veillée funèbre d’Ismahane, l’une de ses protégées qu’il connaissait depuis sa plus tendre enfance. Ismahane l’insolente, la libre et charismatique Ismahane, s’est suicidée à la veille de ses seize ans.
Pour lui rendre hommage et pour tenter de comprendre le geste irréparable de celle qui aurait dû avoir la vie devant elle, il décide de mener l’enquête. L’occasion pour lui de revenir sur ses débuts d’éducateur inexpérimenté catapulté dans ce quartier difficile de la banlieue de Toulouse. Un quartier régi par ses propres lois qui vous broie et vous recrache aussi bien qu’il peut vous porter.
Une réflexion bouleversante sur des quartiers où la vie tient de la survie, où la violence côtoie la plus grande humanité. Un livre coup de poing.
Très belle interview ! Des questions qui mettent en avant toute la sensibilité de Vincent Lahouze ! Merci !